propagande (24/10/07)

Après une longue journée de labeur, le contrôleur Montague n’avait envie que d’un bon verre et d’un peu de violence. Il savait pouvoir trouver tout cela au bar de son quartier, le mal nommé « coin des inventeurs ». Ce rade était mal famé et insalubre mais les habitués y passaient quelques heures tous les soirs à dépenser leur maigre salaire en attendant le sommeil. Cela permettait d’oublier le quotidien de leur vie misérable. Lui n’avait pas à se plaindre car en tant que contremaître il s’assurait du bon fonctionnement d’un laboratoire de la Caste des Atomistes, il ne connaissait donc rien des dangers inhérents aux travaux sur les moteurs stellaires de ses subordonnés. Il ne risquait pas de finir ses jours déchiqueté par un moteur mis en marche par erreur. Même s’il se sentait privilégié, il avait déjà dû superviser les équipes de nettoyage qui intervenaient quand un malheureux avait été happé par un réacteur et ça n’était jamais très joli à voir ! La semaine dernière avait vu deux de ses hommes périr, cela était dû à de nombreuses négligences selon les dirigeants des Atomistes, lui savait que cela était lié aux cadences infernales imposées aux employés. Il voulait oublier tout ça et il alla s’asseoir à sa table habituelle.

De cette place il avait une vue globale sur la salle enfumée par les volutes d’obscura et les nombreux cigares allumés. Il connaissait tout le monde ici mais il ne se rappelait jamais des noms de ses compagnons de beuverie, le seul nom qu’il n’oubliait jamais était celui du serveur : Max Yéron, son plus fidèle ami depuis toutes ces années. Il commanda un triple Whyskar sec et demanda à Max quelles étaient les nouvelles. « Rien de bien encourageant » lui répondit le serveur en lui posant son verre sur la table. « Depuis que ce foutu vaisseau est en orbite, mon chiffre d’affaire diminue, personne n’ose sortir ! A part vous bien sûr, mes ivrognes adorés ! ca fait deux jours qu’il semble nous observer depuis le ciel et on le voit à toute heure du jour ou de la nuit. Cette forme rouge et noire n’annonce rien de bon… les gens deviennent superstitieux avec ces conneries ! »
« Ouais je confirme ! » répondit Montague « des croyances millénaristes semblent resurgir de partout ! les mecs de mon équipe ne parlent plus que de ça »

La conversation s’arrêta brusquement alors que le réseau télévisuel annonça la transmission du match de Technologie guerrière de ce soir. Au programme : Dextra l’écarteleur de Nunkes contre Sarek l’ombre meurtrière de Midar.
« Enfin un peu de sang ! » éructa Montague, il se calla au fond de son siège et se délecta de ce qu’il vit. Le récepteur du bar retransmettait le duel que se livraient deux guerriers améliorés au beau milieu d’une immense arène. Plusieurs milliers de spectateurs avaient payé une fortune pour assister à cette lutte entre deux guildes représentées par leurs meilleurs gladiateurs. L’un était un immense cyborg de deux mères cinquante et l’autre un frêle assassin aux réflexes aiguisés. Les gradins ornementés de sculptures baroques surplombaient une zone nommée le champ de mort, qui pour ce soir représentait l’intérieur d’une usine. Le décor y était régulièrement changé pour éviter la lassitude du public.

Dextra semblait peiner à localiser son adversaire parmi les nombreuses machines car Sarek usait de champs de dissimulation et ce jeu durait depuis déjà 10 minutes. L’arène du Dôme Maxima était pleine à craquer et la foule hurlait sa frustration. Sarek fut le premier à verser le sang en plantant un poignard dans la cuisse de Dextra et les ovations commencèrent à pleuvoir, un autre coup dans l’épaule du cyborg fit naître une gerbe d’étincelles.
« Allez bats toi espèces de larve, j’ai parié 100 crédits sur toi ! Déjà que miser sur un produit d’une guilde concurrente n’est pas très glorieux, fais un effort merde ! » Montague sentait que l’immense Dextra était en train de perdre le contrôle de la situation et son portefeuille commençait déjà à regretter ce stupide pari ! Contre toute attente, Dextra parvint à se saisir de son furtif adversaire après avoir reçu un autre coup en plein torse. Il assura sa prise sur l’un des bras de sa victime et le projeta violemment contre le sol à trois reprises dans des gerbes de sang.
La foule devint hystérique.
« Ouais vas-y mon gars, finis le travail » se dit Montague. Dextra finit par se saisir de l’autre bras de son adversaire et fit fonctionner ses muscles cybernétiques au maximum de leur potentiel. Sarek hurlait encore lorsque ses bras furent arrachés de son corps.

Soudain, l’écran devint noir et les clients du bar se mirent à hurler et à jeter toutes sortes d’objets sur le récepteur. Seul Montague ne semblait pas étonné de cette brusque interruption des programmes. Une nouvelle image apparut sur l’écran. Une silhouette drapée dans une ample robe noire se trouvait dans ce qui semblait être une grotte. Elle fixait la caméra et ses yeux luisaient d’une lumière verte inquiétante. Une voix fantomatique sembla surgir de nulle part et teint les propos suivants :

« Chers habitants de Pharos, je m’excuse tout d’abord de vous importuner de la sorte mais je suis porteur d’un message de la plus haute importance. Je suis l’oracle de Néméïa et ce que je suis sur le point de vous annoncer va probablement changer votre vie. »
Montague n’en croyait pas ses yeux : ils avaient réussi ! Les commandos avaient réussi à pirater le système vidéo de Pharos ! Enfin il allait pouvoir passer à l’action ! Le message continuait.

« Vous devez savoir que le gouvernement fait tout pour vous briser et vous maintenir dans l’ignorance. Vos dirigeants nous font passer pour des illuminés ou des terroristes mais sachez que nous sommes simplement des combattants de la liberté et que nous ne visons que l’indépendance de Pharos. Ceci signifie que nous mettons au point un système qui vous immunisera à la tant-redoutée lobotomie, sanction suprême infligée aux soi-disant traîtres mais en vérité bâillon à toutes vos revendications. A l’heure où je vous parle vous devez tous savoir qui je représente car nous sommes présents partout, nous sommes vos frères, vos parents, vos enfants, vos amis, vos amants, vos employés. Nous sommes partout et nous savons tout de vous. Nous connaissons vos conditions de travail, vos peurs et vos habitudes, vos espérances. Dans peu de temps, les véritables maîtres de Pharos se réveilleront et reviendront juger vos actions. Serez vous choisis comme dignes héritiers de ce monde ou serez vous éliminés pour votre comportement servile ? C’est à vous de décider ! Il est temps de choisir votre destinée. Rejoignez nous et libérez ce monde de la tyrannie ou priez pour un jugement clément de nos maîtres ! N’oubliez pas : les fils de l’Omnimessie sont vos frères mais la trahison n’est pas admise dans notre famille ! L’illumination est à portée de main mais la damnation éternelle vous guette en cas de collaboration avec les autorités de Mars ! Que ceux qui ne croient pas ma prophétie regardent le ciel et fixent l’astre rouge sang qui s’y trouve. Leur cœur les délivrera de leurs doutes ! L’Omnimessie revient ! Soyez prêts à l’accueillir… »
Le message s’interrompit aussi brusquement qu’il était apparu et un long silence s’instaura dans la salle du bar. Montague en profita pour s’éclipser discrètement après avoir payé son verre. Il allait devoir contacter les fils de l’Omnimessie pour savoir quel serait le prochain objectif de son groupe de résistants. Ses camarades infiltrés dans les autres guildes allaient avoir du travail et lui aussi !